Droits et travers en matière de propriété : Micro-traités avec la Terre

Dark Matter
Dark Matter Laboratories
23 min readJul 15, 2021

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Repenser nos responsabilités envers la nature grâce à l’intendance des terres

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Le droit vivant sur une planète vivante — préface de John Borrows

Nous devons redonner de la vigueur à nos relations avec la terre.

Sur la ferme où j’ai grandi, j’ai appris que nous dépendions du monde naturel. Le sol, les semences, l’enneigement, la pluie, la chaleur, les insectes, les oiseaux et une centaine d’autres éléments influaient sur la façon dont les plantes poussaient et les animaux se développaient, ainsi que sur notre mode de vie.

Les expériences et les enseignements de mes grands-parents sur la réserve n’ont fait que renforcer cette notion. Comme dans d’autres systèmes autochtones, le savoir anishinaabe était alors transmis d’une génération à l’autre pour nous aider à bien vivre. Mes grands-parents nous ont appris que les poissons, les cerfs, les grenouilles, les loutres, les tortues, les lapins, les herbes médicinales, la nourriture et la santé humaine sont inextricablement liés dans une toile complexe, essentielle au maintien de la vie.

Mon expérience sur la ferme et la réserve m’ont amené à comprendre que nos efforts personnels sont indispensables pour encourager et prendre soin de ces relations. Nous avons un rôle actif à jouer pour favoriser des environnements sains.

Les renseignements dans la publication ci-dessous nous aident à prendre conscience des travaux qui nous attendent.

Les codes profonds nécessaires au maintien de la vie demeurent bien présents dans la terre et nous pouvons les intégrer dans nos vies contemporaines. Nos relations juridiques peuvent accommoder les changements qui doivent être apportés pour retrouver une vie riche et diverse sur le plan écologique.

Mais nous devons agir maintenant. La Terre souffre de notre abus et de notre négligence. La souffrance que nous vivons en tant qu’êtres humains vient de notre échec à vivre selon les leçons apprises par nos ancêtres dans de nombreuses régions du monde. En effet, il est impossible pour nous d’agir comme si nous ne faisions pas partie du monde naturel.

John Borrows
Chaire de recherche du Canada sur le droit autochtone
Faculté de droit de l’Université de Victoria

S’autodétruire pour vivre

Les nombreuses crises qui marquent notre époque, surtout celles liées au climat et au logement, renvoient à un problème plus profond, celui d’avoir rompu notre lien avec la terre.

De nos jours, nous vivons tous selon des paradigmes d’autodestruction, que nous soyons Autochtones ou non. Les peuples autochtones ont été systématiquement marginalisés et ont vécu de grandes souffrances en raison du colonialisme et de la Loi sur les Indiens. Et nos façons d’habiter génèrent aujourd’hui des écocides et alimente un système socio-économique de plus en plus gourmand et inégal — et ce tant pour les autochtones que les non autochtones.

Bien des gens s’entendent pour dire que la COVID-19 ne représente que la pointe de l’iceberg. Alors que la perte d’habitats et de biodiversité prend de l’ampleur partout sur la planète, l’apparition du coronavirus pourrait marquer le début de pandémies de masse répétées. L’émergence de tels virus étant peut-être l’exemple le plus puissant de cette autodestruction (qui atteint maintenant nos corps).

Il est donc impératif de repenser nos lois et systèmes de gouvernance afin de transformer les liens systémiques et spirituels que nous entretenons avec la terre et la nature. Et nous avons besoin les uns des autres pour y arriver.

La présente publication repose sur plusieurs ateliers et conversations que nous avons eus avec des leaders autochtones à travers le Canada au cours des deux dernières années. Elle se penche sur la façon de repenser les droits (et responsabilités) de propriété et la protection de l’environnement à la croisée des avenirs civique et autochtone.

« Du point de vue autochtone, la réconciliation entre les Canadiennes et les Canadiens autochtones et non autochtones exige aussi une réconciliation avec le monde naturel. Si les êtres humains règlent les problèmes qu’il y a entre eux, mais qu’ils continuent à détruire le monde naturel, alors la réconciliation demeurera inachevée. »

― Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015

Les lois sont chargées d’histoire : la relation entre le monde vécu et la loi

Les outils que nous avons inventés afin de rendre possible la ‘possession’ de la planète à travers la propriété privée racontent une histoire sur notre vision du monde et nos valeurs. Au fil des époques et dans différentes cultures, des traditions juridiques diverses ont été instaurées afin de solidifier cette vision, mais elle raconte toujours cette version originale d’un rapport au monde, de la place de l’être humain au sein de la nature, et de notre relation (et division) avec l‘environnement qui nous entoure.

Les traditions juridiques ainsi que les lois ou constitutions qu’elles inspirent ne sont pas une source de vérité originelle. Elles ne sont pas divines. Comme le mentionne John Borrows dans son ouvrage Law’s Indigenous Ethics, nous ne devrions pas ignorer les demandes « initiales » des lois. Mieux comprendre « l’origine » de nos cadres législatifs permet alors de saisir les visions du monde qu’ils supportent et si elles sont toujours appropriées aujourd’hui.

Il est donc important de reconnaître et rendre explicite les histoires, les mondes vécus et les ordres constitutionnels divers qui sous-tendent les perspectives occidentales et autochtones.

La loi raconte l’histoire d’un monde vécu.

Lorsqu’il est question de réconciliation, le dialogue entre la résurgence autochtone et la décentralisation des perspectives occidentales doit reconnaître l’existence de mondes vécus radicalement différents. Ce dialogue demeurera ainsi ouvert et continu.

À la manière du Traité de la ceinture wampum à deux rangs des Haudenosaunee, nous devons viser une compréhension mutuelle, sans intervenir ou forcer une réconciliation. Nous devons laisser place à l’émergence d’avenirs civiques et autochtones distincts, et d’autres communs.

Analyse de la situation actuelle : qu’y a-t-il derrière les lois occidentales lorsqu’il est question de la terre?

Les systèmes juridiques occidentaux comme la « common law » ou le droit civil puisent leurs racines dans le libéralisme. Ce sont les penseurs des Lumières, notamment Thomas Hobbes, John Locke et Jean-Jacques Rousseau, qui en ont établi les fondements philosophiques. L’origine de la pensée libérale prône que la « loi » doit défendre la liberté, le consentement et l’égalité.

Les systèmes juridiques occidentaux reposent sur un assemblage de concepts fondamentaux qui dictent une relation précise avec le monde qui nous entoure :

  1. Si vous ne détenez pas de droits, vous êtes détenu.
  2. La propriété s’exprime par des ententes (écrites) entre des êtres humains souverains et autonomes.
  3. La Terre est « la toile de fond devant laquelle les êtres humains vivent au fil de l’histoire. » (Mills, 2016)

Une terre passive : la vision occidentale par défaut de la nature

Les différents outils législatifs qui s’intéressent au monde naturel tentent surtout d’encadrer des pratiques humaines, alternant entre protection et exploitation. Pensons par exemple aux multiples lois et règlements associés aux industries extractives, agricoles ou touristiques.

En encadrant des pratiques d’extraction telles que le minage, la fracturation hydraulique et la pollution, l’ensemble de lois environnementales actuel n’est pas réellement conçu pour protéger la nature. Il vise plutôt à réglementer l’utilisation et l’abus de la nature par les êtres humains.

Dans le meilleur des cas, nos lois défendent une nature à « isoler », alors que dans le pire des cas, elles stipulent les règles d’exploitation d’une nature à « utiliser »

L’ensemble de nos lois définissent donc la nature comme passive, silencieuse et fragile.

Une terre abstraite : la vision occidentale par défaut de la propriété

Tant la « common law » que le droit civil encadrent la propriété comme un ensemble de droits, plutôt que de responsabilités. Des terres sont détenues et des titres de propriété sont transférés d’une personne à l’autre. Il s’agit d’une entente entre personnes.

La terre est perçue comme étant abstraite et dénudée de sens physique. Elle est absente de l’entente légale et donc de la relation.

La terre : une histoire de colonisation

La propriété privée, comme mécanisme légal et contractuel, a été et demeure un instrument important de colonisation. Le pouvoir colonial de la propriété privée agit comme un moyen de dépossession et comme un mécanisme menant à la disparition des systèmes politiques et juridiques autochtones.

L’architecture profonde de nos systèmes vient cristalliser les dynamiques de pouvoir. Faire disparaître la colonisation du cœur même de nos systèmes signifie entre autres de redonner une voix à la terre dans nos instruments juridiques et contractuels.

Reconnaître le fait que la terre et la nature ne sont pas que des toiles de fond, mais bien des acteurs présents qui “parlent”, vient déstabiliser la primauté de l’être humain, un concept au centre de la pensée libérale occidentale. En d’autres mots, cela remet en question les prémisses de base du monde créé par la « common law » et le droit civil.

Les systèmes constitutionnels libéraux parviendraient-ils même à survivre à une relation où la nature est considérée comme active?

À ce moment de notre Histoire, celui de la crise climatique, nous n’avons pas d’autre choix que de découvrir la réponse à cette interrogation.

Autant d’arpents de terre qu’un homme peut labourer, semer, cultiver, et dont il peut consommer les fruits pour son entretien, autant lui appartient-il en propre. Par son travail, il rend ce bien-là son bien particulier, et le distingue de ce qui est commun à tous. […] Au commencement, tout le monde était comme une Amérique, et même beaucoup plus dans l’état que je viens de supposer que n’est aujourd’hui cette partie de la terre nouvellement découverte. Car alors on ne savait nulle part ce que c’était qu’argent monnayé.

― John Locke, Deux traités sur le gouvernement, 1689

« Le but premier du Gouvernement devrait être de donner à tous les Indiens leur propriété individuelle, et ce, dès que possible. »

― Lettre du lieutenant-gouverneur et intendant des affaires indiennes, 11 novembre 1878

Décentraliser la vision occidentale par défaut/Faire le ménage de notre maison

Les systèmes juridiques occidentaux incluent déjà des voies pouvant mener à une relation plus dynamique avec la terre.

En suivant celles-ci, les mondes juridiques occidental et autochtone pourraient amorcer un dialogue productif.

Pluralisme juridique

Les ordres juridiques libéraux du monde occidental peuvent donner lieu à un pluralisme juridique. L’interaction du droit civil (au Québec) et de la « common law » (dans le reste du Canada) en est un bon exemple. Toutefois, il faut faire preuve de grande prudence au moment de réfléchir à la façon dont la loi des colonisateurs peut interagir avec les ordres juridiques autochtones, surtout en ce qui concerne la relation à la terre.

Incommensurabilité juridique

Les ordres juridiques libéraux du monde occidental peuvent donner lieu à un pluralisme juridique authentique avec des systèmes qui partagent un cadre constitutionnel commun. Toutefois, il est aussi possible que cela crée une incommensurabilité juridique (c’est-à-dire une incompatibilité) entre les lois des colonisateurs et les divers ordres juridiques autochtones, puisqu’ils émanent de familles constitutionnelles et, au bout du compte, de visions du monde radicalement différentes.

En tentant de désacraliser les points de vue juridiques occidentaux et d’explorer les nouvelles relations avec la terre qui pourraient en découler, nous devons mettre de côté nos attentes relativement à ce à quoi pourrait ressembler le dialogue entre les ordres juridiques autochtones et un cadre juridique occidental qui entre davantage en relation avec ces derniers.

Dit autrement, la croisée des avenirs civique et autochtone pourrait ne pas renvoyer à une enquête autonome, mais plutôt à une énigme sans fin.

Une autre relation avec la nature

L’émergence des Droits de la nature propose une transformation de nos relations avec la nature dans l’ordre légal actuel.

Cette approche souhaite conférer une identité individuelle juridique à la nature. En donnant à cette dernière un statut juridique actif et autonome, elle constitue un modèle de loi plus écocentrique qui augmente considérablement la présence de la terre dans notre monde juridique. À cet égard, les Droits de la nature constituent une avancée bien réelle dans la tentative de décentraliser les visions juridiques par défaut du monde occidental.

Cependant, la nature demeure prise dans un discours de droits qui émane du concept que nous pouvons choisir de conclure une entente légale avec elle. À ce titre, la vision par défaut de l’Occident reste bien vivante.

L’approche des Droits de la nature souligne également le côté artificiel du concept de cadastres conçu par les êtres humains, puisque les frontières des écosystèmes sont insaisissables : où commence et finit la rivière à qui on a accordé une identité individuelle juridique?

Comme ces droits doivent néanmoins être portés par des êtres humains qui agissent comme défenseurs, il est possible de se demander si cela pourrait avoir une incidence sur le taux de décès des personnes qui se portent déjà à la défense de l’environnement contre des forces économiques pouvant être brutales. En effet, 160 personnes land defenders ont été tuées en 2018, une réalité qui n’est qu’une des conséquences visibles des gestes abusifs posés partout dans le monde à l’endroit de ceux et celles qui défendent leurs terres pour le bien de leur communauté et des générations futures : criminalisation, harcèlement, etc.

Quelques exemples de Droits de la nature

Des Droits de la nature n’ont été accordés pour l’instant qu’à de vastes ensembles. Mais que se passerait-il si nous adoptions une approche micromassive pour instaurer des Droits de la nature, c’est à dire par une mobilisation massive autour de plus petits terrains?

Une autre relation avec la propriété

Les fiducies foncières communautaires représentent une solution de rechange à la propriété. L’entité juridique prend la forme d’un organisme sans but lucratif qui administre la terre en vertu d’une fiducie perpétuelle afin qu’elle puisse être utilisée en permanence par une communauté.

Quelques observations :

  • La terre est réellement présente au sein d’une fiducie foncière communautaire. Il s’agit d’une entente de personne à personne à lieu. Nous y trouvons donc les traces d’un mécanisme contractuel à acteurs et actrices multiples.
  • Au-delà des droits, il y a une responsabilité envers la préservation et le caractère abordable de la terre à perpétuité.
  • La terre est présente dans l’entente et les êtres humains ont une responsabilité d’intendance envers celle-ci.
  • La terre demeure perçue comme quelque chose qui peut être détenu grâce à des ententes écrites.

En tenant compte de ces observations …

Que se passerait-il si nous donnions une présence active encore plus grande à la terre? Nos mécanismes contractuels de propriété seraient-ils toujours pertinents?

Que se passerait-il si nous ajoutions des responsabilités envers, notamment, les autres espèces présentes sur ces terres?

Qu’est-ce que la propriété de toute façon? : au-delà de l’illusion des droits absolus

Les droits de propriété ne sont pas absolus.

Au Canada, les droits de propriété sont sous compétence provinciale. Ils ont délibérément été exclus de la Charte canadienne des droits et libertés (Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982), ce qui veut dire qu’ils ne bénéficient d’aucune protection constitutionnelle.

Plus important encore, malgré des histoires largement répandues sur le plan culturel, les droits de propriété ne sont pas absolus. Ils existent conjointement avec d’autres lois et mécanismes, et sont limités par leurs interactions avec ces derniers.

En d’autres mots, la propriété n’est pas qu’un ensemble de droits, elle est déjà aussi, en théorie, un ensemble de responsabilités : sur les plans municipal, provincial, fédéral, constitutionnel, international et autochtone.

Que signifient les titres ancestraux autochtones pour la propriété privée?

Qu’est-ce qu’un titre ancestral autochtone?

  • Une doctrine (constitutionnelle) de la « common law ».
  • Le paragraphe 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme les droits ancestraux, sans toutefois définir ou créer de droits autochtones.
  • Sui generis : c’est un droit inhérent qui découle des systèmes légaux, sociaux et politiques passés ou présents qui maintient une relation avec les terres ancestrales (avant la colonisation).
  • Il est « reconnu » et non « accordé » (c’est-à-dire qu’il n’est ni défini par le système juridique colonial ni un produit de celui-ci).
  • Un ensemble de jurisprudence (voir Calder, Delgamuukw-Gisdayway, Campbell, Haida, Mikesew Cree ou Tsilhqot’in) a été produit pour interpréter la nature et l’étendue de ces droits.
  • C’est l’antithèse de la Loi sur les Indiens.

Ce que la jurisprudence récente peut nous apprendre sur la propriété privée

La Nation Tsilhqot’in c. la Colombie-Britannique (2014) a obtenu une déclaration attestant que « le titre ancestral confère des droits de propriété semblables à ceux associés à la propriété en fief simple, y compris le droit de déterminer l’utilisation des terres, le droit de jouissance et d’occupation des terres, le droit de posséder les terres, le droit aux avantages économiques que procurent les terres et le droit d’utiliser et de gérer les terres de manière proactive ». (Nation Tsilhqot’in, jugement de la Cour Suprême, paragraphe 73.)

L’ensemble croissant de jurisprudence sur la reconnaissance et la définition des titres ancestraux en vertu du paragraphe 35 (un droit protégé par la Constitution) permet d’avancer vers un point déterminant où les titres ancestraux autochtones et les droits de propriété privée pourraient se croiser, et où les premiers pourraient venir limiter les seconds.

La question qui suit pourrait alors se poser …

« Les titres ancestraux autochtones viendront-ils évincer des intérêts bénéficiaires privés relatifs à la terre, ou les terres privées viendront-elles empêcher que des titres ancestraux autochtones soient attribués à ces terres? »

- John Borrows, 2015

Comme tels, les titres ancestraux autochtones sont une « coquille vide ». Dans le paragraphe 35, les ordres juridiques autochtones donnent du contenu et une signification aux titres ancestraux.

Il existe plus d’une centaine d’ordres juridiques autochtones différentes au Canada qui ont ou qui auront quelque chose à dire sur la « propriété privée », ainsi que sur la relation qu’entretiennent les êtres humains avec la terre.

Une plus grande reconnaissance des titres ancestraux au Canada combinée à la résurgence des ordres juridiques autochtones pourraient bien venir transformer ces « coquilles vides » en trous de vers légaux (autrement dit: des raccourcis entre deux univers légaux parallèles).

  • Parce que la jurisprudence autochtone canadienne nous y mènera un jour ou l’autre…
  • Parce que le système juridique occidental dominant donne lieu à des paradigmes d’autodestruction…
  • Et, plus important encore, parce que nous avons une responsabilité en matière de réparation et de réconciliation…

Nous devons renouer notre relation (juridique) avec la terre.

7 points of convergence: A compass for making kin

Des preuves bien enracinées de possibilités

L’initiative Civic-Indigenous 7.0 a été pour nous un exercise de base où enraciner une conception renouvelée des initiatives écologiques et socio-économiques, ainsi que les mécanismes financiers et de régulation s’y rapportant, à l’intersection des visions occidentales et autochtones.

Dans la suite de ce blogue, nous explorons comment les sept points de convergence développés dans le précédent blogue peuvent servir d’ancrages pour la mise sur pied de Nouveaux voisins, une initiative axée sur la réconciliation avec la nature dans les terrains privés en vue de créer une nouvelle forme de micro-traité.

Alors que nous nous efforçons d’unir des visions passées, présentes et futures du monde grâce à ces preuves de possibilités, nous savons qu’il pourrait y avoir des tensions et même de la dissonance entre des approches plus technocratiques ou relationnelles.

Si vous avez des idées sur comment aborder ces tensions ou sur la façon dont les sept points de convergence pourraient servir à élaborer une autre initiative, n’hésitez pas à nous en faire part.

Nouveaux voisins : la réconciliation avec la nature commence dans notre cour

L’organisme Nouveaux voisins travaille actuellement avec un écosystème croissant de partenaires à la régénération de terrains gazonnés pour accroître la biodiversité, atténuer certaines conséquences des changements climatiques et aider à repenser notre relation problématique avec la nature d’un point de vue municipal (villes<> banlieues <> milieux ruraux).

Jusqu’à maintenant, Nouveaux voisins et quelques partenaires se sont concentrés sur trois choses : 1. la création de discours (étendre la notion de quartier à d’autres êtres vivants et questionner la stigmatisation des terrains à la pelouse parfaite comme l’option de paysagement par défaut); 2. l’élaboration d’autres approches paysagères par l’entremise de projets pilotes (comme celui-ci) ; 3. la création d’outils pour appuyer cette transformation socio-écologique (plateforme web et trousse d’outils, bacs à sable réglementaires, mécanismes financiers et fiscaux pour tenir compte des services écologiques créés collectivement, etc.).

La quête de la pelouse parfaite est profondément enracinée dans notre culture occidentale. Il s’agit de la plus grande culture irriguée en Amérique du Nord et ses conséquences néfastes pour l’environnement sont nombreuses. La transformation socio-écologique proposée par Nouveaux voisins et d’autres acteurs similaires pourrait donc avoir un impact de grande envergure.

Elle nous permettrait aussi de nous éloigner d’une vision où la nature est gérée par les êtres humains pour en venir à reconnaître les avantages de celle-ci et de ses écosystèmes pour les êtres humains et, finalement, comprendre l’auto-souveraineté de la nature au sein de laquelle ont lieu des échanges métaboliques entre les espèces (y compris les êtres humains).

Consultation avec la nature : vers 1 million de cours liées les unes aux autres

À ce jour, des Droits de la nature ont surtout été attribués à un site en particulier (lac, rivière, etc. + avec une communauté précise) ou par un État (Bolivie+ Équateur + Ouganda), parfois avec peu d’impact sur le terrain. Il est aussi possible de faire un constat similaire quant aux efforts de conservation écologique.

Certains scénarios préliminaires et hypothétiques pour chaque étape de mise en œuvre.

En commençant par des actions non officielles, cumulatives et de plus petite envergure, des initiatives comme Nouveaux voisins pourraient créer un mouvement collectif ascendant de restauration écologique/Droits de la nature.

L’impact serait très restreint si seulement quelques propriétaires participaient. Mais cela pourrait devenir un excellent moyen de coopération avec la nature si des millions de gens à travers le Canada décidaient de prendre part à cette transformation, et s’il existait des outils et des infrastructures pour soutenir celle-ci.

Des instruments pourraient par exemple être conçus pour améliorer la prise de décisions collective sur le genre d’espèces à sauver en premier en fonction du taux d’extinction, ou le genre de services écologiques à soutenir dans un domaine donné, tout ça grâce aux choix que nous faisons et encourageons collectivement dans nos cours.

Nous avons explorer les options possibles en ce sens dans ce blogue.

Redéfinir ensemble la beauté pour valoriser l’utilité

De nos jours, la plupart des gens n’ont pas les moyens d’embaucher un ou une spécialiste pour transformer leur cour (p. ex. dans un des projets pilotes de Nouveaux voisins, la régénération d’un terrain de 40 mètres carrés à Outremont [un quartier montréalais] coûtait environ 4000 $). D’un autre côté, se contenter de laisser la pelouse pousser et se régénérer sans intervention humaine peut aussi apporter son lot de défis, comme des risques d’allergie ou un certain nombre d’années pour atteindre un aspect sauvage intéressant et acceptable selon les normes culturelles d’aujourd’hui.

Pour nous débarrasser des pelouses et retrouver un aspect plus naturel, il pourrait nous falloir une nouvelle génération d’instruments et de modèles financiers civiques capables de tenir compte de formes de valeur multidimensionnelles et longitudinales (séquestration du carbone, hausse de la biodiversité, réduction des îlots de chaleur, etc.), et de mettre à profit les capitaux privés et institutionnels nécessaires pour relever les défis environnementaux liés à la remise à un certain état sauvage.

Il nous faut une meilleure compréhension des différents bénéfices dans une seule cour (séquestration du carbone, hausse de la biodiversité, santé publique, qualité de vie, participation communautaire, sécurité alimentaire, etc.), ainsi que plus d’information sur les valeurs différenciées créées à différentes échelles (une seule cour versus une rue versus un quartier versus une région).

Les visions du monde autochtones impliquent souvent une philosophie d’interdépendance et d’appartenance, comme l’indique l’expression mohawk Akwe Nia’Tetewá:neren (toutes mes relations). Il est entendu que nous sommes tous liés les uns aux autres et à toute la vie sur Terre. Comment afficher un tel respect pour toutes les espèces vivantes dans notre cour? Comment créer un lien entre la compréhension scientifique des systèmes écologiques acquise au cours des siècles et la sagesse autochtone acquise durant des milliers d’années de relation intime avec le territoire sur lequel nous vivons aujourd’hui?

Carte préliminaire des avantages conjoints de Nouveaux voisins

Intégrer des responsabilités envers la nature dans les ordres juridiques actuels

Selon la recherche et les conversations que nous avons menées avec diverses parties prenantes, il semble que les paliers réglementaires municipaux et provinciaux pourraient être les meilleurs points d’entrée pour reconnaître nos responsabilités envers la nature sur une propriété privée donnée.

Sur le plan municipal : Plutôt qu’encourager l’entretien des pelouses (p. ex. une couverture végétale d’une certaine hauteur maximale en cm), les municipalités pourraient déterminer le pourcentage minimum (p. ex. 50 %) de la surface d’une cour qui devrait être réservée à des services écologiques et concevoir des outils pour aider leur communauté à atteindre cet objectif.

Sur le plan provincial : Les lois actuelles sur le patrimoine semblent un bon point d’entrée, soit en reconnaissant les droits de la nature dans le cadre de servitudes de conservation (comme cela a été fait avec le Community Legal Environmental Defence Fund), soit en proposant des options de conservation juridiques volontaires, comme le fait le Gouvernement du Québec (p. ex. une réserve naturelle, une servitude de conservation, le don ou la vente de propriété, ainsi que la désignation d’un habitat floristique).

Ces dernières sont accompagnées d’un revenu ou d’une réduction des taxes municipales, mais en général, elles ne s’appliquent qu’à de vastes terrains. Une approche plus collective et démocratique en matière de conservation et de restauration est indispensable.

Lois autochtones : Il est possible d’intégrer la sagesse autochtone à d’autres ordres juridiques et, par conséquent, de préparer le terrain pour une éventuelle reconnaissance de la pluralité des ordres légaux. Toutefois, il a été suggéré de commencer par « faire le ménage de notre maison » à court terme avant de prendre part directement à un ordre juridique à titre de personne non autochtone.

Toutefois, un Autochtone nous a dit que lorsqu’un fonctionnaire de la Ville de Montréal est venu chez lui avec une règle pour mesurer la hauteur de sa pelouse à la suite d’une plainte faite par un voisin, il a mentionné suivre la loi ancestrale de son peuple et ce qu’elle dit au sujet de la relation avec la terre. Le fonctionnaire a quitté la propriété sur-le-champ. Cette anecdote illustre bien la pluralité juridique et la façon dont la négociation entre des traditions juridiques autochtones et coloniales peut se manifester dans le cadre de micro-décisions sur le terrain.

La prochaine étape : Une conversation avec des représentantes et représentants des différents paliers de gouvernement doit avoir lieu pour clarifier la façon d’intégrer des responsabilités envers la nature dans les ordres juridiques actuels.

Travailler à la réconciliation de notre réglementation

La réglementation est une des tâches les plus importantes du gouvernement. Elle renvoie à une relation codifiée entre le commerce, l’État, la société civile et la nature, assurant des protections et des terrains d’action adéquats dans tous les domaines. Au moment où nous nous retrouvons à la croisée des chemins face à des défis, mais aussi des possibilités sans précédent, il importe de comprendre que le jeu change et donc, que les règles doivent elles aussi changer, y compris en ce qui concerne les propriétés dont nous sommes locataires ou propriétaires.

Voici quelques idées de la façon dont cela pourrait se dérouler.

La propriété comme un (micro) traité : voir au-delà de la propriété

Sommes-nous capables de voir la propriété comme un traité conclu avec un lieu, plutôt que comme la possession de celui-ci?

Pouvons-nous, aux confins de la pensée juridique occidentale, voir la propriété comme un traité plutôt que comme un acte visant la possession privée? Pouvons-nous créer un prototype de microtraité numérique (un traité intelligent), par exemple, qui pourrait interagir en temps réel avec toutes ses relations et responsabilités, y compris les limites déjà en place qui s’appliquent à la propriété privée en vertu de la loi des colonisateurs?

Posséder une maison et prendre soin du terrain sur lequel elle est située pourrait alors devenir un acte de réconciliation profonde, ou, au minimum, un acte de « préparation » afin qu’un dialogue puisse avoir lieu entre la notion actuelle de propriété privée et les ordres juridiques autochtones par l’entremise des titres ancestraux. Bien que cela ne garantisse pas une intégration tout en douceur des titres ancestraux et des droits de propriété privée, cela pourrait néanmoins stimuler l’interface… ou notre imagination.

Les voies qui mènent au-delà de la propriété demeurent insaisissables. Cependant, des éléments d’émerveillement précis issus d’un contact préliminaire avec la pensée juridique autochtone pourraient nous aider à ne plus simplement « faire les choses comme d’habitude » et à participer plus activement à la décentralisation de la vision occidentale par défaut. Voici quelques éléments d’émerveillement pour poursuivre la réflexion :

« En tant que citadins, une part de notre difficulté est d’apprendre comment vivre avec la force de la Terre et de nous laisser conseiller par celle-ci. Allez parler aux arbres et aux plantes pour comprendre le langage, les histoires, la science et les traités de la nature. Et parce que la Terre est vivante, cela veut dire que l’histoire ne peut pas se résumer à “il était une fois en 1701”. Il s’agit plutôt de ce qui se produit aujourd’hui et de ce qui peut se produire à l’avenir. Le paragraphe 35 fait partie intégrante de la loi canadienne et peut nous aider à créer des lois qui n’émanent pas seulement des parlements ou des assemblées législatives, mais qui émanent aussi de nous, qui font partie de nous. Il n’y a pas que les avocats et les juges qui peuvent pratiquer le droit. Nous pouvons tous et toutes le faire. Et nous pouvons commencer en récréant le lien entre les gens et leurs terres. C’est de nous qu’il s’agit. Nous n’avons pas à l’attendre. Le lien est là. Il nous entoure. »

― John Borrows, extrait de son enseignement près de l’étang, Toronto, 2019

Communiquez avec nous

Nous en sommes encore aux premières étapes de la mise sur pied de Civic-Indigenous 7.0, ce qui veut dire que nous sommes ouverts à toute rétroaction qui pourrait éclairer nos travaux futurs. Nous sommes aussi à la recherche de gens qui aimeraient nous accompagner dans cette aventure, alors n’hésitez pas à communiquer avec nous le cas échéant.

Jayne Engle — Dark Matter Labs:
jayne@darkmatterlabs.org

Jonathan Lapalme — Dark Matter Labs
jonathan@darkmatterlabs.org

Cet article existe également en version PDF (en anglais). Communiquez avec nous pour obtenir un exemplaire.

Remerciements

Le présent article a été écrit originellement en anglais par Marie-Sophie Banville et Jonathan Lapalme de Dark Matter Labs, tous deux établis à Tiohtià:ke/Montréal, et en collaboration avec Des villes pour tous/la Fondation McConnell, la Chaire de recherche du Canada sur le droit autochtone de la Faculté de droit de l’Université Victoria, le Center for First Nations Governance et Nouveaux voisins. Les éléments graphiques ont été créés par Hyojeong Lee de Dark Matter Labs et par l’équipe de Nouveaux voisins. Le texte a été traduit de l’anglais par Julie Lanctot et révisé par Emile Forest.

Nous tenons aussi à remercier plusieurs autres collaborateurs et collaboratrices qui ont pris part à des ateliers proposés par Civic-Indigenous 7.0 et aux conversations ayant mené à la rédaction de l’article. Ces personnes font partie des organismes suivants : Waterloo Institute for Social Innovation and Resilience (WISIR), MaRS Discovery District, Evergreen / Villes d’avenir Canada, Mi’kmaw Native Friendship Centre (Halifax), Centre for Indigenous Innovation and Technology / Troon, Fédération canadienne des municipalités (Initiative de développement économique communautaire entre Premières nations et collectivités), Cando (CEDI), Center for Democratic and Environmental Rights, Community Environmental Legal Defense Fund (CELDF), Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), la Fondation David Suzuki et plusieurs autres.

Références

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